"A Nantes, des aidants accompagnés sur le chemin de la reprise d’emploi
L’association nantaise Constellation, qui accompagne des parents d’enfants en situation de handicap, a initié un programme sur mesure d’aide à la réinsertion professionnelle des aidants.
Alice Talata, 42 ans, élève un petit garçon polyhandicapé de dix ans. Il ne marche pas, ne parle pas et a besoin d’aide pour tous les gestes de la vie quotidienne. Ancienne gestionnaire bancaire, elle a arrêté de travailler pour s’en occuper et gérer ses nombreuses séances de rééducation, avant d’obtenir une place dans un institut médico-éducatif (IME), où il est accueilli quatre jours par semaine, tandis qu’un centre de loisirs prend le relais le mercredi. Mais comment retrouver une place sur le marché du travail après une parenthèse de huit ans entièrement dédiée à son fils ? « Je me suis vraiment demandée si j’en étais encore capable », avoue-t-elle.
Membre de l’association nantaise Constellation, fondée en 2019 pour offrir du répit et des temps de convivialité aux aidants (majoritairement des femmes), elle a participé à un programme inédit d’aide à la réinsertion professionnelle, mené entre janvier et juillet 2023 avec le soutien financier du prix « Je t’aide » (La Croix du 6/10/2022). « Le premier objectif, c’était de remettre ces aidants en confiance et de leur montrer que c’était possible », explique Elodie Pillot, coordinatrice de Constellation, qui cherche des financeurs pour renouveler l’opération.
Des compétences transférables
Les six aidants accompagnés (cinq femmes et un homme) ont suivi des séances collectives et individuelles, moyennant une petite participation financière. Ils ont notamment bénéficié d’une remise à jour sur les outils numériques, rencontré des parents aidants déjà en emploi, travaillé leur CV et préparé des entretiens d’embauche. Avec l’assistante sociale de l’association, ils ont aussi répertorié les aides qu’ils pouvaient perdre et celles auxquelles ils pouvaient prétendre en reprenant un emploi, trop peu connues. Surtout, ils ont appris à identifier les compétences acquises auprès de leurs enfants : gestion du stress, organisation des plannings, coordination, communication, réactivité, ponctualité, persévérance…
Autant de « soft skills » très prisées sur le marché de l’emploi dont ils n’avaient pas conscience. « Ils avaient tous très peur d’être jugés par leur employeur et avaient des idées fausses sur le monde de l’entreprise », constate la coach Myriam Paratte, qui les a suivis individuellement (six séances de deux heures). Je pense à une aidante embauchée récemment comme secrétaire administrative dans un garage. Ils ont adoré son profil et ses valeurs alors qu’elle pensait ne jamais intéresser un employeur ».
Des employeurs à l’écoute ?
Responsable du centre d’expertise sur les vulnérabilités à Audencia Nantes, Nils Poussielgues constate que depuis dix ans, de plus en plus d’entreprises prennent en compte la situation des aidants, qui représentent 11 millions de personnes en France. « Le premier enjeu, c’est de libérer la parole sur ces sujets au sein de l’entreprise, explique-t-il. Certains aidants ont besoin d’être écoutés et soutenus par leurs employeurs, notamment en terme de souplesse d’emploi du temps, ce qui n’enlève en rien la performance professionnelle ».
Un peu plus d’un an après la fin de ce programme, 4 aidants sur 6 sont en emploi ou formation. Comme Alice Talata, qui est en train d’apprendre le métier d’assistante comptable. « J’ai toujours aimé les chiffres et je cherchais un travail sans trop de déplacements pour rester présente pour mon fils ». D’autres parents ne visent pas forcément une reprise d’activité à temps plein. Elisabeth, 55 ans, mère d’une jeune femme de 23 ans porteuse de troubles du développement et du comportement, souhaite se lancer dans un nouveau métier tout en continuant à prendre soin de sa fille, bientôt accueillie à mi-temps dans une maison d’accueil spécialisée (MAS).
« Penser à soi »
« L’idée c’est de penser à moi et d’équilibrer mon quotidien sans avoir toujours la tête dans les problématiques du handicap », confie cette ancienne ingénieure dans l’agroalimentaire, qui a arrêté de travailler aux deux ans et demi de sa fille et mis ses compétences en gestion de projet au service de son bien-être.
Désormais, Elisabeth suit une formation en herboristerie et souhaite lancer des ateliers sur les plantes aromatiques et médicinales. « Ce programme dédié aux aidants m’a permis de mettre à plat mes envies, poursuit-elle. Comme j’ai toujours fait très attention à l’alimentation de ma fille, cela a du sens de se lancer dans cette nouvelle voie ».
Florence Pagneux (LA CROIX)